Tribune libre/Afrique : l’audace politique comme ultime levier pour exister dans le nouvel ordre mondial
En tant qu’expert en veille stratégique, Helly Gbene constate que trop souvent les États africains observent les recompositions géopolitiques sans s’y projeter. Pendant que d’autres anticipent, nous réagissons tardivement.
Le 03 septembre 2025 à Lomé, à l’occasion de la rentrée diplomatique togolaise, deux voix se sont élevées pour rappeler une évidence : l’Afrique doit oser. Robert Dussey, ministre togolais des Affaires étrangères, et Abderaman Koulamallah, ancien chef de la diplomatie tchadienne, ont délivré un message sans ambiguïté : l’Afrique dispose des moyens et des talents, mais elle se prive encore de son arme la plus décisive – l’audace politique.
Un continent trop souvent spectateur de son destin
En stratégie, il n’y a pas de place pour l’attentisme. « L’Afrique doit se positionner en actrice qui compte pour elle-même suivant ses propres intérêts », a affirmé Robert Dussey.
En tant qu’expert en veille stratégique, je constate que trop souvent nos États observent les recompositions géopolitiques sans s’y projeter. Pendant que d’autres anticipent, nous réagissons tardivement.
Selon la CNUCED, les chaînes d’approvisionnement mondiales sont en pleine reconfiguration depuis la pandémie et la guerre en Ukraine. Pourtant, l’Afrique ne capte que 2,9 % du commerce mondial en 2024. Là où l’Asie a bâti des hubs logistiques et industriels, l’Afrique reste consommatrice. C’est la preuve qu’il nous manque non pas des opportunités, mais une capacité de décision rapide et coordonnée.
“Chaque silence nous coûte de la souveraineté, chaque hésitation nous enchaîne davantage.”
Des accords ambitieux, mais trop peu de résultats
Le Pacte de Lomé, la ZLECAF, l’Agenda 2063 sont des cadres essentiels. Mais en gestion de projet, un plan sans indicateurs mesurables et sans pilotage est une coquille vide.
Par exemple, la ZLECAF promet une augmentation de 52 % du commerce intra-africain d’ici 2035 selon la Banque mondiale. Pourtant, le commerce intra-africain reste bloqué à 15 % aujourd’hui, contre plus de 60 % en Europe.
Pourquoi ? Parce que nos infrastructures logistiques sont insuffisantes, nos normes douanières désalignées et nos budgets trop faibles en innovation.
“Signer ne suffit pas. Ce sont les actes qui transforment.”
La jeunesse : force vive ou bombe à retardement
Abderaman Koulamallah a rappelé : « Celui qui n’écoute pas la voix de sa jeunesse est voué à l’échec. »
Avec une moyenne d’âge de 19 ans, l’Afrique détient la population la plus jeune du monde. Mais sans investissement massif dans la formation, la recherche et l’entrepreneuriat, ce potentiel devient un risque.
En tant que dirigeant du Cabinet d’Ingénierie de Formation & Consulting – IF&C Togo, j’accompagne des jeunes entrepreneurs togolais et africains. Leur énergie est incroyable, mais leur accès au financement reste marginal : moins de 5 % des PME africaines ont accès à des crédits bancaires classiques. Résultat : des idées brillantes restent dans les tiroirs, pendant que l’Europe et l’Asie nous imposent leurs modèles technologiques.
“Écouter la jeunesse n’est pas une faveur, c’est une condition de survie.”
L’audace politique : la clé manquante
Dans mes missions de conseil en finance et en stratégie, j’ai appris une règle simple : les ressources existent toujours, c’est la gouvernance qui décide de leur efficacité.
° Nous avons les terres arables : 60 % des terres cultivables non exploitées du monde sont en Afrique.
° Nous avons le soleil et le vent : le continent pourrait devenir un leader des énergies renouvelables.
° Nous avons les cerveaux : plus de 12 millions de diplômés sortent chaque année de nos universités.
Ce qu’il nous manque, c’est l’audace politique pour :
° Oser investir 10 % de nos budgets dans la recherche et l’innovation (au lieu des 0,5 % actuels).
° Oser créer un marché africain de la dette souveraine pour financer nos projets au lieu de quémander à l’extérieur.
° Oser parler d’une seule voix face aux blocs américains, européens ou asiatiques.
“Sans audace politique, l’Afrique restera un géant aux pieds d’argile. Avec elle, elle deviendra une puissance incontournable.”
L’Afrique n’attend plus, elle agit
Comme expert en veille stratégique, je le répète : les signaux sont clairs. Le monde ne nous attendra pas. Chaque crise internationale est une opportunité que nous laissons filer faute d’audace.
L’Afrique n’est pas condamnée. Elle est attendue. Mais il faudra du courage, de la vision et surtout des décisions fermes pour transformer nos potentialités en puissance réelle.
“L’Histoire ne donne pas sa place : elle se conquiert. Le moment est venu pour l’Afrique d’oser.”
Par Helly GBENE, Expert en veille stratégique et développement, CEO du Cabinet IF&C-Togo