L’Amérique découverte par un Mandingue ou le souverainisme selon Robert Dussey
En affirmant, à Cuba, qu’un Africain a été « le premier à mettre pied sur le continent américain », le chef de la diplomatie togolaise a souhaité apporter sa pierre à l’édifice souverainiste panafricain. Il a aussi participé à la dévalorisation des primo-habitants de l’Amérique, arrivés des dizaines de milliers d’années avant les explorateurs, quels qu’ils soient.
Dans le bras de fer entre les néosouverainistes sahéliens et leurs voisins de la CEDEAO taxés d’« occidentalisme », le Togo faisait figure de régime idéologiquement malléable, capable de parler avec chaque camp. C’est ainsi que le président du Togo avait accepté, en mai 2022, d’être le médiateur dans la crise entre le Sahel et l’institution ouest-africaine. Par son ministre des Affaires étrangères, de l’Intégration régionale et des Togolais de l’extérieur, Lomé affiche aujourd’hui des positions qui font écho aux propos révolutionnaires des juntes africaines.
Invité à la conférence internationale « Cuba 2024 » qui marquait la fin de la Décennie internationale des personnes d’ascendance africaine, Robert Dussey a déposé une gerbe au pied d’un monument érigé en mémoire du fondateur du parti révolutionnaire cubain. Il a par ailleurs évoqué publiquement une « histoire du monde falsifiée » par le biais de « mensonges érigés en vérités ». « Ce n’est pas Christophe Colomb qui a découvert l’Amérique », a-t-il lancé à La Havane, à grand renfort de « Non ! Non ! Non ! » textuellement retranscrits sur le réseau X.
Une incongruité à la place d’une autre
À la tribune cubaine puis sur le réseau d’Elon Musk, Robert Dussey affirme que « le premier Homme à fouler le nouveau monde appelé Amérique s’appelle Aboubakar 2, le digne roi mandingue de l’Empire du Mali ». Cette version de l’Histoire que le Togolais tente d’imposer, au titre du respect dû à l’Afrique, constitue un autre manque de respect – le même que celui de la légende « Colomb » –, cette fois à l’égard des Amérindiens.
Que ça soit Aboubakri II ou Christophe Colomb qui ait foulé, au 14e ou au 15e siècle, le sol « américain » sans invitation, ces terres étaient loin d’être inhabitées et donc loin d’être « découvertes », d’un point de vue de l’espèce humaine, ni par le Mandingue ni par le Génois. Si découverte du « nouveau monde » il y a eu, ce serait, selon les paléoanthropologues toujours en recherche, via la Béringie. C’est par ce pont de terre qui existait il y a 40 000 et jusqu’à il y a 11 000 ans avant notre ère, entre l’Amérique du Nord et la Sibérie, que seraient arrivés les ancêtres de ceux que les « découvreurs » autocentrés qualifieront plus tard d’« indigènes », avant de les massacrer.
Surnommé l’« empereur explorateur », Aboubakri II aurait bien embarqué vers l’ouest pour aller voir « ce qu’il y avait de l’autre côté de la grande mare » atlantique. S’il ne serait jamais revenu de cette expédition, certains aiment affirmer qu’il aurait effectivement débarqué en Amérique et que des descendants d’Africains auraient même été aperçus par certains des premiers Européens parvenus sur le continent. La thèse reste controversée, au regard du niveau de technologie qu’on attribue aux Africains de l’époque.
La grand-messe cubaine avait pour vocation de galvaniser les peuples africains et le chef de la diplomatie togolaise l’a bien compris. Il a exigé – en s’autoproclamant « courageux » – que soit reconnu comme un génocide, par les Nations unies, l’épisode historique de l’esclavage. Celui-ci est heureusement bien plus documenté que celui des premières visites impromptues aux Amérindiens.
Source : jeuneafrique.com