Des dirigeants de meilleure qualité
Pour ne pas risquer de se retrouver avec pire que ce que les peuples rejettent, des tamis de vigilance s’imposent désormais dans la sélection des candidats à la magistrature suprême. À Madagascar comme ailleurs.
Acculé par une jeunesse malgache pleine de détermination, Andry Rajoelina a déserté le pays, et l’Assemblée nationale l’a destitué. L’armée a pris les commandes, et le colonel Randrianirina, devenu héros pour avoir exhorté ses camarades militaires à refuser de tirer sur leurs amis, frères et sœurs manifestants, a été investi par la Haute cour constitutionnelle. Ne faut-il pas s’en réjouir ?
Il y a peu de monde pour pleurer ce président largement comptable du passif instable de Madagascar. Pour autant, la liesse saluant sa chute ne constitue en rien la garantie d’un avenir radieux pour les Malgaches, qui ont dû déchanter tant de fois par le passé ! Les espérances que suscite la fin d’un régime décrié demeurent un mirage, aussi longtemps que les peuples oublient de tirer les leçons de leurs déconvenues antérieures. On parle, ici, de refondation. Mais celle-ci n’est possible que si tous les acteurs se situent au même niveau de sincérité, avec le même degré d’exigence.
Après plus de six décennies à trébucher, tomber, se relever pour trébucher à nouveau, tomber encore et se relever, peut-être est-il temps, pour les Malgaches, et pas seulement eux, de reprendre leur souffle, pour penser enfin une manière judicieuse d’avancer surement. À certains égards, l’admiration dont déborde l’Afrique pour la détermination victorieuse de la jeunesse malgache rappelle celle des Burkinabè qui, en octobre 2014, ont chassé du pouvoir Blaise Compaoré. Celui-ci, après vingt-sept ans d’un règne sans partage, se croyait indétrônable. Un héliport de fortune dans les faubourgs de la capitale ; une exfiltration par un avion militaire français ; et tout était terminé. Comme Compaoré, Rajoelina a eu la désertion buissonnière. Par le chemin des écoliers ! Seize ans après, ce qu’est devenu le Burkina invite les Malgaches à une impérieuse vigilance, à plus d’exigence.
En quoi consisteraient donc cette vigilance et ces exigences ?
Aussi enivrantes qu’elles soient, ces phases de grande effervescence n’ont d’intérêt que par rapport aux leçons qu’en tirent les peuples. Ceux qui se retrouvent au pouvoir ont rarement le même agenda que les révolutionnaires qui ont risqué leur vie pour faire tomber le régime rejeté. Pour prendre le pouvoir, politiciens, militaires et autres troisièmes larrons rivalisent de stratagèmes qui, tôt ou tard, ramènent les populations à leurs frustrations de départ. La Refondation annoncée n’a de chance d’aboutir que si les maîtres de la transition demeurent sous pression, contraints d’agir vite, dans le sens de l’intérêt général. Sans quoi, dans quelques semaines, ils auront pris goût au pouvoir et tourné le dos à l’idéal révolutionnaire. En Afrique, les peuples qui font une confiance aveugle à des militaires prompts à leur promettre le paradis sans aucun chronogramme s’exposent aux pires désillusions. Quant au programme de la refondation, il est contenu dans les exigences déclamées durant les manifestations. Il s’agit, à présent, de les coucher sur papier, d’indiquer quand, comment et avec quels moyens les traduire en actes, sans cacher aux citoyens les efforts que cela implique de leur part.
Tout cela ne suppose-t-il pas le retour à l’ordre constitutionnel, avec un chef d’État élu ?
Bien évidemment ! Au peuple de ne pas se tromper sur le profil des candidats à la magistrature suprême. Les Malgaches pouvaient-ils espérer d’Andry Rajoelina autre chose que l’impasse dans laquelle il les a conduits ? Tout, dans son profil, aurait dû les mettre en garde. Diriger une nation africaine n’est pas un job pour des jouisseurs superficiels, pour qui tout se rapporte à ce qu’on appelle de manière triviale “la tchatche”. Interrogées séparément sur les qualités que devrait avoir le président idéal pour leur pays, des femmes d’affaires ouest-africaines confiaient naguère ceci : « D’abord, ce doit être quelqu’un qui mange à sa faim chez lui. Parce que, disaient-elles, nous ne voulons pas d’un président qui vienne résoudre ses problèmes de carrière, et même de survie, aux dépens du peuple ».
Un pays sous-développé ne peut s’offrir à un dirigeant qui ne peut justifier d’un parcours professionnel clair et convaincant. Qui n’a jamais eu sous sa responsabilité plus de dix collaborateurs, en entreprise ou dans l’administration. Pour ne pas risquer de se retrouver avec pire que ce que les peuples rejettent, des tamis de vigilance s’imposent désormais. À Madagascar comme ailleurs…
Chronique de Jean-Baptiste Placca du 18 octobre 2025 sur RFI