Ce beau et juteux métier!
156 millions de dollars imputés à Matata Ponyo, condamné à dix ans de prison, en mai dernier ; 50 millions, pour Vital Kamerhe, condamné en 2020, puis acquitté en 2022 ; 19 millions, aujourd’hui, qu’est présumé avoir détournés Constant Mutamba… En RDC, le peuple vivote en francs congolais, et l’élite détourne et s’engraisse en dizaines, sinon en centaines de millions de dollars. Faites de la politique ! Vous deviendrez riches !
Indexé pour avoir détourné 19 millions de dollars destinés à la construction d’une prison, le Garde des Sceaux de la RDC a dû démissionner. Privé, par l’Assemblée nationale, du dernier verrou qui le protégeait, Constant Mutamba est désormais passible de poursuites. N’est-ce pas, là, un triomphe de l’État de droit ?
Il faudra sans doute attendre encore un peu, pour crier victoire, dans cet environnement où les politiques, pour échapper à la justice, débordent de manigances et de subterfuges. Parce que le courage d’une démission est plutôt rare sous ces latitudes, la décision du ministre, en soi, est une excellente nouvelle. Les politiciens ont une fâcheuse tendance à se cramponner aux postes et aux privilèges, même lorsqu’ils ont atteint leurs limites, ou qu’ils ont simplement échoué. Même compromis ou discrédités, ils n’aiment pas céder la place à plus valeureux qu’eux. Et cette propension à se croire propriétaires, à tout jamais, des fonctions qui leur sont confiées, pèse de son poids mort dans la difficulté, pour l’Afrique, à avancer, à se développer.
Certes, Constant Mutamba aurait pu prendre les devants, sans attendre d’être désavoué par l’Assemblée nationale. Il aurait ainsi préservé sa dignité, plutôt que de s’épuiser à quémander une bouée de sauvetage du chef de l’Etat, à coups de serments d’allégeance et de pathétiques assurances de loyauté. On imagine qu’il doit beaucoup à Félix Tshisekedi, qui lui a octroyé, à 36 ans, un portefeuille d’importance, la Justice, avec un rang de ministre d’État que ne justifiait certainement pas son score de 0,20 % des voix à la dernière présidentielle.
N’est-il pas plutôt flamboyant, le bilan qu’il dresse de l’année qu’il vient de passer au ministère de la Justice ?
Il semble tellement flamboyant, que l’on se demande si Constant Mutamba a effectivement réalisé tout ce qu’il décrit. Il lui fallait être un pur génie, pour réussir, en tout juste treize mois, à transformer le champ de ruines du système judiciaire congolais en un tableau si idyllique. À moins que, dans son esprit, les grandes ambitions qu’il disait nourrir pour la Justice soient, d’office, considérées comme des projets aboutis, dès lors qu’il en a rêvé. C’est un tout aussi authentique exploit que d’être parvenu, en si peu de temps, à brouiller les traces de 19 millions de dollars. Certes, en matière de détournement de deniers publics, la RDC nous a habitués à une certaine démesure. Et la petite poignée qui finit parfois devant la justice est rarement faite de… gagne-petit.
À qui donc pensez-vous ?
Il y a tout juste un mois, l’ancien Premier ministre Matata Ponyo était condamné, avec quelques comparses, à dix ans de prison, pour un détournement… de 156 millions de dollars ! La plus grande frustration des Congolais découle de ce que cet ancien Premier ministre, en quatre ans de saga judiciaire, ne s’est pratiquement jamais expliqué sur le fond. Plutôt que de convaincre ses concitoyens de sa probité, il préférait disqualifier les juridictions saisies dans son affaire.
Vital Kamerhe, aujourd’hui quatrième personnage de l’État, a écopé de 20 ans de prison, en 2020, pour un détournement de quelque 50 millions de dollars. Après une généreuse réduction de la peine, cette affaire a donné lieu, en appel, à un spectaculaire acquittement. Que d’aucuns avaient qualifié de politique, alors que se nouaient, en 2022, les alliances en vue de la présidentielle de 2023.
Ajoutés aux 19 millions imputés à Constant Mutamba, cela fait 225 millions de dollars, pour seulement trois figures politiques. En RDC, le peuple vivote en franc congolais, tandis que l’élite politique s’engraisse, en centaines de millions de dollars. Les populations y meurent par milliers, sur les voies fluviales, les lignes de chemin de fer, les routes et pistes du pays. Elles crèvent autant dans les dispensaires et hôpitaux mal équipés. C’est ici que l’on se met à rêver du nombre de milliers de Congolais qui échapperaient à une mort certaine, si ces montants faramineux, plutôt que d’atterrir dans les poches de politiciens indélicats, parvenaient au Trésor public !
Chronique de Jean-Baptiste Placca du 21 juin 2025 sur RFI