Vaudou Game réinvente sa funk africaine avec «Fintou» : Peter Solo ose la fusion cumbia
Parce qu’il sentait venir le danger d’être trop à l’étroit, Peter Solo, le chanteur-leader togolais de Vaudou Game a préféré courageusement prendre les devants. Grâce à la cumbia sud-américaine, il revoit l’afro-funk sous un autre angle et s’ouvre d’autres perspectives sur Fintou, cinquième album du groupe.
Côté pile, à la lumière, il y a le cinquième album d’un groupe bien identifié qui montre aujourd’hui sa capacité à se renouveler après avoir installé dans le paysage musical sa funk africaine au son vintage, avec cette fameuse gamme vaudou à laquelle le nom de la formation fait référence. Côté face, dans l’ombre, il y a une histoire douloureuse – sur le plan artistique –, sinon cachée du moins refoulée, qui suffit à éclairer ce virage réussi, mais dont il n’est étrangement fait mention nulle part. Comme pour mieux l’oublier.
Peter Solo, le chanteur-fondateur de Vaudou Game, commence par évoquer les doutes qui se sont emparés de lui en 2023 quand il célébrait les dix ans du groupe, événement qui a fait l’objet d’une tournée dédiée. L’impression d’être arrivé à un endroit à partir duquel il risquait ensuite de tourner en rond. La fin d’un cycle qu’il entrevoyait de plus en plus clairement, sans forcément mettre dessus les mots appropriés. Et en parallèle, l’envie de se fixer un nouveau challenge, de retrouver l’enthousiasme du musicien novateur, singulier, pour mieux partager cette énergie créatrice.
Au fil des semaines, en lui, les questions affluent, déstabilisantes, quasi existentielles, aiguisées par une forme d’urgence à devoir se décider : il ne manque que son feu vert pour que soit commercialisé un album enregistré sur sa terre natale au Togo, là-même où il a donné vie à l’album Otodi (sorti en 2018), dans la lignée de ceux faits auparavant. Le projet est mixé, finalisé, l’équipe est prête à le défendre.
Sacrifié sur l’autel de la sincérité artistique
Mais à l’ultime moment, c’est non. Peter refuse d’ajouter à sa discographie cette nouvelle ligne qui ne lui correspond plus. Si un sentiment de soulagement intérieur salvateur l’envahit immédiatement, cette libération n’exclut pas une forme de pression : il a conscience de ses responsabilités à l’égard de ses musiciens et de son entourage professionnel, qui acceptent son choix radical, sans forcément le comprendre.
« Je suis reparti de zéro », confie-t-il, ajoutant n’avoir jamais réécouté, durant la gestation de Fintou, les morceaux de cet enfant musical mort-né. Le multiinstrumentiste, qui conçoit seul les maquettes de ses albums en jouant tous les rôles, s’enferme dans son « laboratoire » afin d’essayer toutes sortes de fusions, réactions et autres mélanges. Y compris avec la musique balinaise !
Aucun azimut n’est a priori écarté, hormis celui de l’afropop et des programmations, vers lequel une grande partie de la jeunesse africaine semble irrémédiablement attirée, selon Peter Solo qui le regrette au plus haut point. Le quinquagénaire n’élude pas le malentendu générationnel : une partie de ses compatriotes le voit comme un « extraterrestre » et considère même qu’il fait « de la musique pour les Blancs ». Un comble, quand on sait que sa démarche repose sur une retranscription d’éléments traditionnels et une mise en valeur de la nature en tant que pilier de la cosmogonie vaudou !
Fintou : quand l’Afrique rencontre la cumbia
Un tournant décisif se produit au moment où lui viennent les premières notes de « Râler », single annonciateur de l’album Fintou et dont le refrain fait l’éloge inattendu d’un trait de comportement bien français (« Râler, c’est très bon. Râler donne la santé. Râler après déjeuner, ça fait passer la migraine »). Le musicien togolais, devenu Lyonnais d’adoption, reconnait qu’il n’avait pas imaginé un seul instant résoudre son équation grâce à la cumbia, genre colombien qui s’est répandu dans une bonne partie de l’Amérique latine. Non seulement il n’avait au départ aucune affinité avec cette musique, mais en outre, il la dévalorisait volontiers. Limitée, avec ses « deux ou trois accords », il la rangeait « dans la catégorie musette ».
À son contact, en creusant la matière, il se rend compte que cette simplicité est au contraire un atout pour réussir ce mariage avec sa propre culture afro-funky. Autre intérêt, à ses yeux : aucun artiste n’a encore formalisé cette alliance musicale spécifique, alors que de nombreux liens entre les deux continents ont été explorés, en particulier à travers la salsa ou des événements tels que le festival Africa En Bogota ou encore symboliquement le projet Cumbiafrica du duo colombien Alé Kuma.
D’autres morceaux présents sur Fintou, à l’image de « C’est pas vrai », portent des traces très prononcées de ce rapprochement transatlantique. Est-ce par le biais de la cumbia que Vaudou Game s’est ouvert aussi à l’accordéon, joué sur la ballade «Tu sauras» par les jeunes Togolais de Lomevie ? Plus qu’une influence, c’est un déblocage qui s’entend sur chaque chanson de l’album. Et le plaisir de Peter Solo d’avoir trouvé pour son groupe un nouvel horizon.
Vaudou Game Fintou (Hot Casa Records) 2025
Source: rfi.fr/afrique