Une mort gratuite! Scandaleusement douloureuse!
Dans une Afrique largement handicapée par l’incompétence de certains de ses dirigeants, faire correctement son travail aussi peut vous coûter la vie. Surtout si votre « zèle » froisse une personnalité. Ou un des sous-fifres qui l’entourent…
Il s’appelait Fiston Kabeya. Roué de coups et embarqué par la garde rapprochée de la Première ministre de RDC. Mort s’en est suivi. Son crime : avoir osé rappeler le Code de la route à ses bourreaux, qui roulaient à contresens sur un boulevard de Kinshasa. Le « profond regret » de Madame Judith Suminwa et la dédramatisation du pouvoir n’ont pas suffi à calmer l’opinion congolaise, scandalisée. À quoi faut-il s’attendre, désormais ?
Au rythme auquel de tels scandales se succèdent dans ce pays, il serait vain d’espérer une révolution durable des mœurs. L’opinion sera bientôt captivée par un autre de ces drames à répétition qui rythment la vie des Congolais, et dont cette délinquance routière d’État n’aura été qu’un triste épisode de plus.
Par contre, l’expédition punitive de l’escorte de la Première ministre choque d’autant plus que, après la brève altercation verbale avec les gardes, Fiston Kabeya et ses collègues avaient aidé le cortège à s’extirper des embouteillages. Mais, une fois leur patronne déposée à destination, ces gardes sont revenus violenter l’insolent agent. Comme si, dans cette nation, l’entourage de chaque détenteur d’une once de pouvoir politique se croyait habilité à décréter quels comportements relèvent du crime de lèse-majesté et comment le punir. Convaincus de leur impunité, ils se vautrent donc tous dans la violation des droits des autres.
Comment expliquer un tel niveau de violence de la part l’escorte d’une Première ministre ?
Il y a, dans les rapports qu’entretient le pouvoir avec les populations dans de nombreux pays africains, une charge de brutalité, qui remonte à la colonisation. Le colonisateur supportait mal la contestation, encore moins la rébellion, qu’il réprimait violemment ! À l’indépendance, cette propension à brutaliser s’est perpétuée avec certains dirigeants des jeunes nations. Au Cameroun, par exemple, il y a eu transmission, à travers la répression des maquis de l’UPC. Comme une passation de service sur l’art de réprimer. Pour écraser les populations, le pouvoir colonial s’appuyait essentiellement sur la soldatesque africaine, base des futures armées nationales. Au camp de Thiaroye, les Blancs n’étaient pas seuls à massacrer les tirailleurs réclamant leur dû. En Guinée, où Sékou Touré faisait torturer et mettre à mort les ennemis réels ou supposés de son régime, le Camp Boiro était tenu par des nationaux. Mais, leur fonctionnement était calqué sur ce qui se faisait sous la colonisation.
De cette violence coloniale, Aimé Césaire disait qu’elle « dé-civilisait le colonisateur, l’abrutissait, le réveillait aux instincts enfouis, à la convoitise… ». Et c’est pour mettre en garde contre la perpétuation de cette violence qu’il écrivait que les dirigeants africains ne devaient pas considérer l’indépendance comme l’occasion, pour eux, de venir, en lieu et place du Blanc, « faire le Blanc sur le dos de leurs frères Noirs ». Ce que l’escorte de la Première ministre a fait subir à Fiston Kabeya rappelle, en tout point, les brimades et les violences de la colonisation belge dans ce même Congo.
N’est-ce pas, là, une lecture d’une grande tristesse ?
Chaque dépositaire de l’autorité croit, hélas, incarner, personnifier le peuple, et supporte mal toute remise en cause. Et le matamore de l’entourage d’un Premier ministre se prend pour le Premier ministre des matamores. Plus ils sont intellectuellement limités, plus ils se laissent griser par le sentiment de puissance. Or, dans cet environnement de népotisme généralisé, si Fiston Kabeya avait été le cousin d’un ministre, il serait peut-être de ceux qui roulent impunément à contresens et se pavanent comme s’ils étaient des génies. Avec ce réflexe de brutes propre à ceux qui aiment persécuter les gens qui leur semblent en position de faiblesse. Cette fin tragique de Fiston Kabeya rappelle que les allées du pouvoir pullulent de gens dangereusement primaires. Le fait qu’ils gravitent autour d’un chef d’État ou d’un Premier ministre n’y change rien.
C’est dur à entendre. Mais, dans nombre d’États africains, la proximité avec le pouvoir pousse beaucoup à se croire omnipotents, avec droit de vie ou de mort sur tout citoyen qui s’aviserait de les défier. C’était aussi cela, le pouvoir colonial !
Chronique de Jean-Baptiste Placca du samedi 5 avril 2025