Togo : quelles sont les causes de la contestation citoyenne ?
Le 6 juin, jour d’anniversaire du président Faure Gnassingbé, des Togolais ont bravé l’interdiction de manifester pour se retrouver dans les rues de Lomé. D’où vient la contestation ? Entretien avec Mohamed Madi Djabakaté, politologue et essayiste.
Mohamed Madi Djabakaté, vous êtes politologue et essayiste au Togo. Quelle est la situation sur place ?
Mohamed Madi Djabakaté, politologue et essayiste : Il y a eu une montée d’adrénaline dans la nuit du 5 au 6 juin, les gens ont cru qu’ils allaient pouvoir manifester sans répression. Malheureusement ça n’a pas été le cas, mais ce 6 juin est un premier acte, il marque une rupture avec la peur.
Dans la rue, ce n’étaient pas que des leaders politiques classiques, mais aussi des Togolais ordinaires qui se sont retrouvés face à un système qui fait tout pour imposer le silence. Cette répression amène les gens à se dire : il faut parler, il faut agir, mais comment ?
Pourquoi parler de rupture ?
Mohamed Madi Djabakaté, politologue et essayiste : Parce que la contestation a toujours été faite par la classe politique de l’opposition. Alors que cette fois, ce sont des gens issus de la société civile qui ont le courage de parler et de dénoncer. Que ce soit à Lomé, à l’intérieur du pays, ou dans la diaspora. Et ils ont un canal via les réseaux sociaux surtout Tiktok. Les Togolais peuvent ainsi se partager leur vécu mais aussi se retrouver en ligne et partager ce qui ne va pas. Comme le social, le sanitaire, l’éducation, et la vie chère.
Justement, quelles sont les revendications des Togolais ?
Ces derniers jours, il y a eu +12,5% d’augmentation des frais d’électricité, et les togolais ne l’ont pas digéré. Ils sont obligés de payer cher pour un service dont ils ne bénéficient pas en termes de qualité. Parce qu’il y a beaucoup de perte d’énergie, elle n’arrive pas à destination, et ce sont des pratiques qui permettent de pouvoir détourner des fonds.
Résultat : beaucoup de services en rapport avec l’électricité ont subi des augmentations. Les Togolais ont donc compris que la politique menée a un impact concret sur leur quotidien. Selon des analyses économiques, l’augmentation du prix de l’électricité pourrait entraîner une inflation de 10 à 15% dans les mois à venir.
Est-ce que la mobilisation vient surtout des jeunes ?
Pas que, mais ce sont eux qui sont sur le devant de la scène, c’est leur moment. Beaucoup n’ont pas eu de cadre approprié au Togo, ils ont dû s’enfuir et aujourd’hui ils osent donc dénoncer. D’autres jeunes n’ont plus de perspectives mais ne savent même plus où immigrer. Et la politique actuelle aux Etats-Unis est loin d’offrir des perspectives.
Le rappeur Aamron, très critique envers le pouvoir, a été arrêté il y a deux semaines. Il a présenté ses excuses sur Tiktok, mais selon son avocat, cela aurait été fait sous la contrainte. Qu’en pensez-vous ?
Aamron a contribué à accélérer l’indignation, c’est lui qui a suggéré la date du 6 juin. Il a proposé ironiquement aux jeunes de sortir dans la rue le jour de l’anniversaire du président Faure Gnassingbé. En ce qui concerne sa vidéo d’excuses, il suffit de la décoder pour comprendre. On voit son état physique, et qu’il fait ça sous la contrainte.
De toute façon, on connaît le système togolais et sa façon de faire. Ils ont cru que le fait qu’Aamron plie allait démobiliser les gens mais au contraire, ça a contribué à les exaspérer parce qu’ils ont vu que le régime garde les mêmes pratiques. L’indignation ne fait que monter, même si ça continue à aggraver la peur chez certains.
Malgré la peur, les Togolais ont quand même laissé exploser leur colère alors qu’ils n’avaient pas le droit de se rassembler ?
Beaucoup de Togolais ont ce dilemme : réagir aux violences. Ou continuer de maintenir une approche pacifique et restez soumis. Le terrain de prédilection du régime lui, reste le même : la violence.
Pensez-vous qu’on se rapproche d’une insurrection populaire comme en 2014 au Burkina Faso ?
Ce qui est sûr, c’est qu’un processus est enclenché et pas dirigé par une seule personne. C’est un conglomérat d’acteurs : certains dans le pays, mais aussi aux Etats-Unis ou en Europe et tous convergent à défier l’autorité en place. Les gens veulent voir Faure Gnassingbé dégager après 20 ans au pouvoir, et ils sont déterminés.
Source: TV5Monde/Afrique