Hélène Doubidji (EkinaMag): “Avec constance, pertinence et qualité de nos contenus, nous nous sommes imposés”
Fondatrice d’EkinaMag www.ekinamag.com, le tout premier webmagazine féministe au Togo, Hélène Doubidji explique dans cette interview pourquoi elle a créé un média thématique dédié à la cause féminine, les défis auxquels ce journal en ligne fait face et surtout souligne sa particularité…
Qu’est-ce qui vous a poussé à créer un média dédié uniquement à la gente féminine ?
Depuis le début de ma carrière, je suis très intéressée par les questions qui touchent généralement la femme. Je faisais régulièrement des reportages sur les sujets relatifs à la femme pour TogoTopNews, le premier média dont je suis fondatrice, au point où mes collaborateurs disaient, en me taquinant que je féminisais le média.
Pour rappel, avant même la mise en place d’EkinaMag, j’ai été sacrée lauréate du Grand prix régional du journalisme sensible au genre.
En 2018, dans le cadre d’un projet de reportage sur les femmes portefaix du grand marché de Lomé, j’ai rencontré une fille de 14 ans qui a perdu tragiquement, lors d’un accident, ses deux parents. Confiée à une tante, elle a été abusée, violée, enceintée par le mari de cette dernière ; et s’est retrouvée ensuite dans la rue avec une grossesse puis son enfant, pour finalement devenir portefaix au Grand marché de Lomé.
Très touchée par cette triste histoire, j’ai eu l’idée de mettre en place un media destiné exclusivement à parler de ces faits qui constituent un véritable crime passé sous silence et dont les survivantes sont méprisées et bannies. Mais il a fallu que je sois invitée en 2019 au Forum Media Développement à Paris, par CFI Medias, pour avoir le gros déclic de passer à l’action. Puisque, lors de cette rencontre internationale, nous avons discuté, entre autres, de la thématique « femme et médias ». Ce qui m’a permis d’avoir une orientation claire à donner à mon idée en gestation.
Par ailleurs, il faut souligner que pendant l’élaboration du projet EkinaMag, nous avons fait une analyse du paysage médiatique local qui permet de dégager des constats suivants :
- Les femmes ne s’expriment pas assez dans les médias au Togo
- Elles apparaissent surtout en tant que victimes
- Les femmes sont peu citées comme expertes, consultantes ou spécialistes dans les médias
- Elles sont fortement impliquées plutôt dans les publicités et contenus à caractères sexistes
- Leurs initiatives, réussites, réalisations, exploits, nomination aux postes de responsabilités s’arrêtent le plus souvent à un article ou une production factuelle
- Les préoccupations féministes ne sont guère abordées par les médias dans une société caractérisée par les mœurs patriarcales et où les violences faites aux femmes sont dénoncées de façon récurrente par les organisations de femmes
- Les sujets sur les femmes souvent traités dans les médias classiques concernent généralement : la commémoration des journées thématiques liées à la femme ; quelques comptes rendus d’activités des associations de femmes, du lancement des initiatives sur les femmes ; des articles à titre informatif comme par exemple les statistiques annuelles sur la grossesse en milieu scolaire, le pourcentage de filles passant les examens scolaires etc ; des sujets insolites et faits divers en lien avec la femme
Ce tableau sombre nous a permis de nous rendre en compte une fois de plus de la nécessité de mettre en place ce média pour contribuer à rectifier le tir.
Comment votre média a été accueilli au début de sa création ?
Dès sa création, EkinaMag a été accueilli très favorablement. Nous avons officiellement démarré nos activités à l’époque par une série de portraits intitulée « Halte aux clichés, elles émergent dans un domaine dit masculin » et cette série a vraiment cartonné. Les différents portraits réalisés ont été massivement relayés sur les réseaux sociaux, ce qui nous avait permis de nous positionner en même temps. Au fil du temps, avec la constance, la pertinence des sujets traités et la qualité de nos contenus, nous nous sommes imposés rapidement.
Qu’est-ce que vos articles apportent de plus dans la promotion des droits de la femme ?
Faut-il le souligner, Ekinamag se veut un média 100% digital, engagé contre le sexisme et les violences basées sur le genre. Il s’agit d’un magazine qui met également en avant les avancées, réussites et initiatives des filles et femmes, tout en soulignant les défis et obstacles auxquels elles font face, et ce, dans toutes les sphères de la société. Nous traitons de pertinents sujets relatifs à la femme qui peinent à trouver échos dans les médias traditionnels. L’Objectif est de contribuer à l’égalité homme-femme, à l’émergence de la femme, à la promotion de ses droits, ainsi qu’à son plein épanouissement sur tous les plans, à travers la collecte, le traitement et la diffusion numérique de l’information.
Les articles que nous publions apportent donc une perspective essentielle à la promotion des droits des femmes. Ils mettent en lumière des sujets souvent ignorés ou marginalisés par les médias généralistes, tels que les violences basées sur le genre, la santé sexuelle et reproductive, les discriminations etc. Ils permettent de déconstruire les stéréotypes et les normes sociales qui perpétuent les inégalités.
Nos productions sont souvent axées sur l’éducation et le plaidoyer, incitant les lectrices et lecteurs à s’engager pour le changement. Ils proposent des outils, des ressources, et des exemples concrets pour comprendre et combattre les injustices. En somme, nos articles contribuent à sensibiliser, mobiliser et transformer les perceptions et les comportements, ce qui est important pour une avancée durable dans la lutte pour les droits des femmes et l’égalité des genres.
Les difficultés sont-elles particulières parce qu’il s’agisse d’un média thématique dédié à la cause féminine ?
Certes nous rencontrons des difficultés liées au secteur mais nous avons plusieurs autres défis spécifiques. On peut citer le cyber harcèlement et la violence en ligne, les défis de renforcement de capacité perpétuel de l’équipe de rédaction en raison de la complexité des thématiques abordées, les difficultés à attirer certains partenaires, car les thématiques abordées peuvent ne pas correspondre à leurs attentes etc.
5Quelles sont vos perspectives dans un court, moyen et long termes ?
Nos perspectives à court, moyen et long termes, c’est de nous développer davantage et devenir un acteur clé dans la transformation sociale en adoptant une stratégie cohérente, innovante et en phase avec nos valeurs.