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Togo- Gaétan Gbati Zoumarou: “Aucune dictature ne lâche le pouvoir de gaité de cœur”

Dans cet entretien exclusif qu’il nous a accordé, Gaétan Gbati Zoumarou, Secrétaire général du groupe des neuf (G9) de la diaspora togolaise et porte-parole de ce mouvement des membres dont certains sont exclus de l’Alliance nationale pour le changement (ANC) à l’issue de la présidentielle de 2020, revient ici pour analyser la situation sociopolitique de son pays et se félicite de la création d’un nouveau mouvement dans la diaspora dénommé “FREEDOM Togo-Mouvement de Libération Nationale. L’opposant au régime de Lomé qui vit en exil depuis des décennies trouve qu’il est l’heure de s’organiser autrement pour provoquer l’alternance au sommet de l’Etat. Lecture !

Gaétan Gbati Zoumaro, vous êtes membre fondateur et Porte-parole du Groupe des 9. Vous avez été membre de l’Alliance nationale pour le changement (ANC) avant d’en être exclu.  Vous vivez en Hollande où vous suivez la situation sociopolitique et économique de votre pays le Togo. Quelle analyse en faites-vous aujourd’hui ?

Merci pour l’occasion que vous me donnez de m’adresser à mes compatriotes à travers votre journal en ligne. La situation au Togo à l’heure actuelle est totalement confuse. On navigue entre deux régimes, avec un gouvernement démissionnaire qui est de nouveau remis en selle sans qu’on ne sache quelle sera sa mission et encore moins sa durée.

Le Parlement nouvellement élu est boycotté par au moins deux formations de l’opposition qui pourtant avaient participé aux élections. Les conseils régionaux n’ont toujours pas été convoqués. Et pour couronner toute cette pagaille, l’élection du Président de la République prévue par la nouvelle Constitution pourtant promulguée n’a toujours pas eu lieu. Certainement pour la simple raison que le Parlement lui même est pour le moment hémiplégique vu qu’il lui manque le Sénat pour être complet.

La gouvernance politique au Togo ressemble-t-elle pas plus à la Cour du Roi Pétaud qu’à celle d’un Etat normalement constitué ?

Aussi apocalyptique qu’elle soit cette pagaille au sommet de l’Etat n’est pas ce qui nous préoccupe le plus au G9. Notre principale préoccupation, c’est la misère dans laquelle croupissent nos compatriotes togolais. Nos frères et sœurs n’arrivent plus à joindre les deux bouts. Payer son loyer, se nourrir, mettre ses enfants à l’école, pourvoir aux frais de santé quand ils sont malades…voilà autant d’actes de la vie quotidienne qui sont devenus un cauchemar pour la grande majorité des Togolais.

Les jeunes sont désespérés et la plupart d’entre eux ne pensent qu’à quitter le pays dès qu’ils auront la moindre ouverture. Le pays se meurt et les gouvernants ne s’en émeuvent guère !

Qu’est-ce qui est devenu le G9 ?

Le G9 est au travail. Dans la dernière période nous avons fais beaucoup de déplacements à la rencontre de nos aînés pour recueillir leurs analyses et surtout leurs conseils. Ces déplacements nous ont conduit aussi bien en Afrique que dans différents pays européens. Délibérément, nous avons voulu que ces tournées se fassent dans la discrétion par respect pour les “sages” rencontrés autant en Europe qu’en Afrique.

Maintenant que cette phase est bouclée, nous nous apprêtons à organiser des rencontres avec nos concitoyens de la diaspora pour débattre démocratiquement de l’avenir de notre pays. Je tiens d’ores et déjà à préciser que ces rencontres n’auront pas pour principal objectif l’exposé de la vision ou d’un éventuel projet politique du G9. Ces rencontres seront plutôt l’occasion de co-construire un projet avec nos compatriotes dans le cadre d’un mouvement inclusif de toutes les synergies véritablement patriotiques. Le mouvement auquel aspire le G9 est et doit rester un mouvement horizontal. Nous ne croyons ni aux hommes providentiels ni aux guides éclairés ! Les directions verticales des organisations politiques dans notre pays ont suffisamment démontré leurs limites quant à l’efficacité nécessaire pour la conclusion de la lutte.

Que dites-vous du combat mené par les partis politiques d’opposition du côté du peuple togolais ?

Les Partis politiques d’opposition ont beaucoup de mérite au Togo. Ils ont beaucoup donné. On ne compte plus le nombre de leurs militants assassinés, emprisonnés ou contraints à l’exil. Et ceux parmi ces militants qui sont restés fidèles à leur conviction sont persécutés tous les jours. Ils perdent leurs emplois, ils sont menacés tous les jours. Je leur tire mon chapeau.

Cependant, force est de constater que malgré tous ces sacrifices, les résultats ne sont pas au rendez-vous. Bien évidemment, la faute incombe au régime qui reste sourd aux suppliques du peuple en désespoir. Voilà pourquoi nous pensons qu’il faut s’organiser autrement pour venir à bout de la dictature togolaise.

Qu’est-ce qui a fait durer la lutte au point qu’après plus de trente (30) années du soulèvement populaire du 5 octobre 90, l’alternance ne soit pas encore au rendez-vous ?

Aucune dictature ne lâche le pouvoir de gaité de cœur. Passer d’une dictature à un système démocratique est toujours un processus révolutionnaire, au vrai sens du terme. Pour démocratiser le Togo, il faut que tout change. On ne peut se contenter de petites réformettes en priant le ciel pour que le Chef de l’Etat soit subitement touché par la grâce divine.

L’alternance dans une dictature est en général le résultat d’un rapport de force politique, diplomatique et populaire. Les différents soulèvements qui ont eu lieu depuis les années 90 ont toujours fini par des négociations permettant au régime de se remettre en selle. La seule fois où le peuple a réellement mené son propre combat jusqu’au bout, c’est lors du soulèvement populaire du 5 octobre 1990. Nous avions réussi à imposer une Conférence nationale souveraine au président Eyadéma en rendant le pays ingouvernable. Ensuite nous avons pu imposer un gouvernement de notre choix au dictateur d’antan.

Malheureusement cette parenthèse démocratique n’a duré que très peu de temps. Le 3 décembre 1991, le Président Eyadéma sortait des chars pour bombarder la démocratie naissante. Et la France qu’on croyait être de notre coté s’est révélée plus que jamais un soutien indéfectible du régime des Gnassingbé.

Si je vous raconte tout ça, c’est pour souligner la bravoure du peuple togolais qui a toujours fait sa part. Par contre le leadership politique ainsi que social n’a malheureusement pas été au rendez-vous à bon escient, soit par naïveté, soit par cupidité. Tant que le peuple mobilisé n’arrivera pas à se doter d’un leadership capable de franchir le Rubicon, nous n’aurons pas d’alternance au Togo.

Les forces démocratiques à l’interne notamment les partis politiques d’opposition sont-ils épuisés ?

Les partis politiques ne sont pas épuisés. Ils se sont mis dans une impasse dans laquelle ils n’arrivent plus à se sortir. Je crois qu’ils n’avaient d’ailleurs pas d’autre choix compte tenu de l’option unique dans laquelle ils se sont inscrits. Je suis bien conscient que les termes du débat ne sont pas les mêmes au Togo qu’en Occident. Cependant, je pense que l’on ne peut pas comprendre ce qui se passe au Togo si on ne plaque pas une grille de lecture partant de la lutte des classes sur notre situation.

Nos grands partis politiques sont tous des partis de droite ou du centre. Nous n’avons pas de parti de gauche proprement défini au Togo. Bien évidement, il y a eu dans le temps la CDPA-BT, l’OTTD devenu plus tard le PT, le PADET etc. Mais tous ces partis ont été confinés à la marge de la scène politique. Or, le système Gnassingbé est profondément de droite. C’est la droite gaullienne et foccardienne qui a mis ce système en place. Le Président Eyadema a été lui-même un soldat de l’armée coloniale utilisée par De Gaulle pour mater les indépendantistes indochinois et algériens. Vous pensez donc bien que l’on ne peut rien attendre des leaders de l’opposition qui ont les mêmes intérêts que le régime en place ! Ils appartiennent à la même classe bourgeoise, aux mêmes réseaux d’influence et ont des intérêts communs dans les mêmes sociétés et autres organisations commerciales. Non, les partis d’opposition ne sont pas épuisés. Ils ont délibérément choisi soit d’accompagner le système, soit de tenter de le réformer tout en le laissant en place.

Quel regard portez-vous sur le changement de la Constitution de votre pays qui le balance dans une autre République, la cinquième, avec un nouveau régime politique, le parlementaire ?

Personnellement, cela fait plus de 20 ans que je réside dans un pays de régime parlementaire aux Pays-Bas. Malheureusement, je suis aux regrets de vous dire que le système mis en place par Faure Gnassimgbé n’a rien de Parlementaire. C’est plutôt le bon vieux système de parti-unique/parti-Etat qui a été ressuscité.

En effet, dans un Parlement monocolore depuis 2018, conférer aux députés et Sénateurs le soin de désigner le président de la République et le président du Conseil de gouvernement revient à confier à Unir le soin de gérer le Pays. L’Etat Togolais se confond et se résume désormais au parti Unir. Si vous n’êtes pas membre de ce Parti, vous devenez presqu’apatride au Togo. C’est un scandale ! la mobilisation contre la cinquième République doit s’accentuer pour que nous nous débarrassions au plus vite de ce chiffon de papier pompeusement baptisé constitution.

Il y a plusieurs organisations de la société civile togolaise et les partis politiques d’opposition qui sont vent debout contre le changement de cette Constitution. Croyez-vous que Faure Gnassingbé va faire un rétropédalage ?

Pas volontairement. La seule manière de lui faire changer d’avis, c’est de l’y contraindre. Et comme un dictateur ne se laisse pas contraindre, pour se débarrasser de cette constitution, il faut une véritable mobilisation de sorte que les tenants du pouvoir reviennent sur leur décision.

Ce changement de la Constitution a fait réagir les Togolais même ceux de la diaspora que vous êtes. Trois opposants installés dans la diaspora, notamment Kofi Yamgnane, Jean-Sylvanus Olympio et Me François Akila Esso Boko ont porté sur les fonts baptismaux Freedom Togo-Mouvement de Libération Nationale du Togo à Paris en France. Que pensez-vous de ce nouveau mouvement et de ses objectifs ?

Je ne connais pas encore très bien le mouvement Freedom-Togo MLN. Cependant, je regarde avec beaucoup de sympathie cette nouvelle initiative se mettre en place. Après les diverses déceptions que nous avons endurées depuis 30 ans, beaucoup de compatriotes dans la Diaspora sont devenus très méfiants par rapport à toute nouvelle initiative. Mais qui ne risque rien n’a rien. Accordons le bénéfice du doute à ce nouveau mouvement et aidons-le à nous aider. Cela n’empêche pas les uns et les autres dans la Diaspora de continuer le travail de mobilisation qu’ils ont toujours mené.

Dans ce combat que vous menez face au régime cinquantenaire en place au Togo, les mouvements et coalitions de partis politiques se sont succédé mais aucun résultat. Pensez-vous que là où les autres ont échoué jusqu’ici, le MLN va réussir ?

Le MLN ne réussira que si la symbiose se fait entre l’opposition au Togo et la Diaspora. La diaspora doit être une force d’appoint et une force d’appui aux organisations qui sont sur le terrain.

Nous devons apporter nos moyens financier, intellectuel et diplomatique à la lutte, et nous devons épauler les organisations et partis politiques qui sont sur le terrain afin que ces derniers puissent faire face à la dictature. Une révolution ne se mène pas à 5000 km de l’épicentre. Nous n’avons donc pas vocation à remplacer les organisations qui sont sur le terrain. Cependant, ces organisations et partis politiques doivent accepter de se réformer pour devenir des organisations véritablement patriotiques, plaçant l’intérêt général au dessus des intérêt particulier ou partisans. C’est à cette condition qu’une véritable symbiose pourra se faire pour constituer une véritable machine capable d’établir un rapport de forces face au régime.

Le G9 est disposé à organier une table ronde des organisations sur le terrain et des organisations de la Diaspora si cela peut aider à sortir de l’impasse dans laquelle nous nous trouvons.

Vous croyez que la communauté internationale va entendre raison désormais pour soutenir peuple togolais dans sa lutte pour l’alternance ?

La communauté internationale n’a ni sympathie ni antipathie pour la cause togolaise. Elle n’a que des intérêts à défendre. Et jusqu’à présent, elle croit que ses intérêts matériels et géostratégiques sont mieux défendus par le régime en place plutôt que par l’opposition qui probablement n’est peut-être pas parvenue à présenter un gage crédible. À nous de faire un travail sérieux pour montrer que c’est le contraire. D’ailleurs avec tous les bouleversements dans le sahel, les vieilles certitudes françafricaines ont volé en éclats en certains endroits et du plomb dans l’aile en certains autres. L’opposition togolaise doit diversifier ses réseaux à l’international et se rapprocher des réseaux qui sont aptes à mieux comprendre les difficultés auxquelles nous sommes confrontés. Le monde est devenu multipolaire ; il n’y a aucune raison de rester accroché au Quai d’Orsay ou à l’UE.

Que dites-vous des dernières élections législatives et régionales du 29 avril dernier qui se sont déroulées dans votre pays d’origine? ?

C’étaient des simulacres d’élection comme nous l’avions prédites. Nous n’avions même pas eu besoin d’appeler au boycott. Le peuple a lui-même pris ses responsabilités en refusant d’aller voter. Les bourrages d’urnes ont été orchestrés pour faire progresser le taux de participation puisque le pouvoir s’est rendu compte dès la mi-journée que les Togolais ne se sont pas déplacés dans les bureaux de vote. Ces élections se sont déroulées sans le peuple. Et le régime sait mieux que quiconque à quel point cette situation est dangereuse pour lui. La colère du peuple peut éclater au moment le plus inattendu…

Après plus de deux mois de démission de Victoire Sidémého Tomegah-Dogbé au poste de Premier ministre et son gouvernement, le Chef de l’Etat l’a reconduite. Quel commentaire vous en faites?

Faure Gnassingbé est dans une impasse. Tout porte à croire qu’aveuglé par le désir de se pérenniser au pouvoir il s’est précipité dans ce changement de Constitution sans réfléchir aux implications. Il est désormais obligé soit de reconduire la Première ministre, soit de désigner un Président de la République. Apparemment, il ne fait confiance à personne au sein de son entourage pour le poste de président de la République. Et a mon avis, il a bien raison d’être méfiant. On a beau avoir dépouillé le futur président de la République de toutes ses prérogatives, il restera Chef de l’Etat. Et l’appétit venant en mangeant, rien ne garantit à Faure Gnassingbé que le futur Chef de l’Etat ne lui damera pas le pion…

Les Forces de Défense et de Sécurité en poste à Kpékpakandi au Nord du pays ont été attaquées par les djihadistes, il y a quelques semaines occasionnant des morts dans les rangs des corps habillés du Togo. De quelle façon vous pensez que cette lutte contre ces terroristes doit-elle être menée ?

Le terrorisme est un phénomène sous-régional voire international. On ne peut lutter contre un tel phénomène qu’en ayant une bonne coordination des forces et des renseignements dans la sous-région. De plus, cette lutte requiert des moyens consistants et une vision stratégique cohérant. Sur tous ces aspects, on a l’impression que c’est la navigation à vue qui est opérée par les autorités “auto-désignées” du Togo grâce à des mascarades d’élections.

Les bouleversements et les tensions au sein de la CEDEAO ont distendu les liens de coopération entre Etats. Les Sahéliens ont désormais leur propre AES et leur accord du Liptako-Gourma. Le Burkina-Faso ne coopère plus avec le Benin. Quand au Togo, on se demande à quel jeu il joue. Avec le double jeu que joue le pouvoir togolais entre la CEDEAO et l’AES, on finira par être vomi de tous.

Pourtant, le pouvoir dit avoir mis beaucoup de moyens à la disposition de l’armée togolaise..

Enfin, concernant la vision stratégique cohérente, on est surpris par le dernier remaniement à la tête de l’état-major des armées. Si ma mémoire est bonne, le chef d’état-major, le Gal Tassounti Djato avait été nommé il y a à peine un an. Pourquoi le remanier alors que depuis sa nomination, on n’avait plus entendu parler d’attaque terroriste ! Je croyais que l’on recherchait de l’efficacité et des résultats ! Le nouveau Chef d’état-major va-t-il poursuivre sur la même lancée que son prédécesseur ? Wait and see.

Quel regard portez-vous sur le fonctionnement de l’institution sous-régionale qu’est la CEDEAO et son Parlement?

La CEDEAO est morte ! Et malgré le courage du député Guy Marius Sagna, son Parlement mourra aussi probablement. Plus personne ne croit en la survie de cette organisation pour mener une action bénéfique aux populations en son sein. Quand on pense que du temps de sa gloire, la CEDEAO avait pu lever une force comme l’ECOMOG pour essayer de pacifier le Liberia !…

À force de cautionner les différents coups d’Etats électoraux et les tripatouillages de Constitutions, la CEDEAO s’est complètement discréditée. Une organisation dans laquelle siège un Président Faure Gnassingbé au pouvoir depuis bientôt 20 ans et un Président Alassane Ouattara au pouvoir depuis bientôt 15 ans ne peut plus être prise au sérieux.

Vivement que les pays de la sous-région ouest-africaine passent sans délai à autre chose.

Si vous avez un mot à l’endroit de vos concitoyennes et concitoyens de la diaspora et qui sont au pays qui se battent pour se libérer. Que direz vous ?

Aux uns et aux autres je dirai de garder espoir et de redoubler de vigilance. Après tant d’années de souffrance, mes compatriotes ont toutes les raisons de se méfier de tout le monde. Mais en même temps, ce n’est pas parce que le passé est douloureux que nous sommes condamnés à souffrir éternellement. Tendez l’oreille, soyez perspicaces pour distinguer le vrai du faux ; réfléchissez par vous-mêmes et engagez-vous non pas derrière quelqu’un mais à coté de ceux qui ont la même aspiration que vous. La libération nationale est irréversible.

Propos recueillis par Justin Anani

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